Yves Bonnefoy, « La maison natale », I, v. 9. Yves Bonnefoy, « La traduction des sonnets de Shakespeare », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 18 | 2000, mis en ligne le 01 novembre 2007, consulté le 19 décembre 2020. Dans cette perspective, la traduction qu’Yves Bonnefoy donne de ce grand poème léopardien [19] — traduction que j’ai déjà analysée [20] en montrant, surtout dans sa clausule, un éloignement de la structure anaphorique et de la valeur tragique du mot « naufragar » [21] — se révèle pourtant cohérente avec ce qu’il écrit dans son essai sur ce poème, qui opposerait le rêve à la cruauté de la nature, et l’esprit à l’ennui, pour « désirer le non-être comme le refuge paradoxal de la réalité proprement humaine » [22], jusqu’à le percevoir comme le lieu illimité de l’infini. Néanmoins il me semble utile, pour mieux saisir les résultats de mon analyse, de rappeler brièvement les idées essentielles caractérisant la position d’Yves Bonnefoy dans le débat actuel sur le traduire, étant donné son importance dans l’ensemble de sa démarche et la valeur qu’il ne cesse de lui attribuer, s’il est vrai qu’il en parle comme de « l’activité primordiale de la pensée au travail » [3]. « Si chez Yves Bonnefoy la poésie est pensante, la pensée est réciproquement “poétique” » ; Patrick Née. You might also want to visit our International Edition. Chez Yves Bonnefoy donc, la pensée critique informe la traduction, selon une réciprocité chiastique entre poésie et pensée que Patrick Née a justement remarquée [26]. Fabio Scotto, « Yves Bonnefoy e Leopardi : tra critica e traduzione », J’ai créé, pour définir les conséquences de cette interprétation, le terme «. 2En ce qui concerne la théorie de la traduction, Yves Bonnefoy garde toute son autonomie vis-à-vis des tendances strictement linguistiques du formalisme structuraliste et du fonctionnalisme socio-linguistique de la communication ; de même, dans la querelle ciblistes-sourciers opposant les sémanticiens linguistes aux stylisticiens littéraires, il refuse de prendre une position nette, en raison de l’impossibilité de réduire un texte à son sens, et de l’exigence de récréer un son et un rythme modernes et personnels loin de toute tentation archaïsante. allemand → espagnol. Le voyage de l'homme, de la femme est long, plus long, C'est une étoile au bout du chemin, un ciel. Toujours dans le même poème, un procédé syncopé analogue préside peu après à l’allégorisation emphatique du mot « Nature » : à la fois par son initiale qui porte la majuscule, et par l’adjectif « onnipossente » nominalisé qui s’y rapporte (« E l’antica natura onnipossente », rendu par « De ma fenêtre, la Nature, l’originelle/ Puissance » [48]), de manière à expliciter la valeur philosophique du mot, dans le contexte de la réflexion lyrique du poète de Recanati. Courbés, le dos chargé d'une masse noire, Certains semblent attendre, d'autres s'effacent. Le traducteur parvient à cette nouvelle dimension strophique grâce à un travail d’expansion expressive (et non pas de dilution) des segments de chaque vers ; ainsi, « En aucune forêt aucune bête » [73] constitue dans sa strophe un vers entier, alors qu’il n’est que la moitié du vers original (« non fu quant’io, né fera in alcun bosco » [74]). Dans l'étincellement qui va sans lumière. Yves Bonnefoy. YVES BONNEFOY. Yves Bonnefoy, « Entretien avec Pierre-Emmanuel Dauzat et Marc Ruggeri », in Pierre-Emmanuel Dauzat (dir.). 11L’écriture traductrice d’Yves Bonnefoy est caractérisée par un certain nombre de stylèmes et de procédés récurrents que les quelques exemples qui suivent se proposent de mettre en évidence. Il faut dire aussi que le traducteur doit se servir des moyens dont il dispose dans sa langue ; on voit que dans le même texte, le verbe français « se remémorer » rend beaucoup mieux (y compris du point de vue phonique) l’original italien « rimembrar » [44] ; on connaît bien en tout cas la position d’Yves Bonnefoy qui exclut notamment toute possibilité d’équivalence phonique entre deux langues, en raison des différences prosodiques et de la valeur autre qu’acquiert le même son dans chacune d’entre elles : « D’une langue à une autre à ce plan des sons, qui sont toujours en rapport étroit avec le sens, aucune possibilité de transposition réelle, rien que des vagues ressemblances qui n’abusent que ceux qui ne savent ni écouter ni comprendre. Yves Bonnefoy partage avec Philippe Jaccottet et d'autres poètes de la même génération le souci de ne pas se laisser leurrer par les jeux ou les facilités du langage, par le désir de l'infini, par tout ce qui relève du magique ou de l'angélique dans les discours sur la poésie, tels qu’ils demeurent plus ou moins tributaires d'une mythologie romantique de l'acte créateur. », et les « doigts déliés, délicats […] / […] nus » de sa « belle main » gantée, un cruel instrument de torture appliqué sur les « plaies » [89] de l’amant déçu. Aux arbres : 2. Et boue est le monde. En 1960, il traduit Jules César, de Shakespeare. Yves Bonnefoy est né à Tours (Indre-et-Loire) le 24 juin 1923. You are currently viewing the French edition of our site. Vérifiez les traductions 'Yves Bonnefoy' en anglais. Collection Poésie, Mercure de France Parution : 13-04-2000 «Faut-il justifier une tentative nouvelle de traduction, quand il s'agit de l'"Ode au rossignol" ou du "Chant du pasteur errant" ? L’exemple de la traduction du Canto notturno di un pastore errante dell’Asia [27] témoigne de cette pensée à l’œuvre dans et par la traduction, comme son essai Traduire Leopardi [28], où Bonnefoy justifie la liberté qu’il a prise de traduire la locution italienne « seguirmi viaggiando a mano a mano » [29] — qui signifie en italien peu à peu, et a donc une valeur temporelle — par « Ou me suivre, main dans ma main près du troupeau » [30] ; en assumant donc, par ce glissement métonymique, la responsabilité d’« assurément dire plus que Leopardi, si ce n’est pas même dire autre chose » [31] du fait de sa conviction qu’une identification de la lune (interlocutrice muette du pasteur) avec la femme dont le poète a rêvé, est possible : 9La nécessité et le courage de l’interprétation sont à la base de cette décision traductrice, à partir de laquelle d’autres découlent en chaîne : comme par exemple celle de traduire « Vergine luna » par « Ô lune,/ Ô vierge » [33], double vocatif séparant le substantif de son épithète, et supposant explicitement une vision anthropomorphique féminine du symbole (la vierge). Fabio Scotto, « La risonanza dell’altro. William Shakespeare (Auteur), Yves Bonnefoy (Préface, Traduction) 4,5 sur 5 étoiles 348 évaluations. C’est le cas de l’incipit de La sera del dì di festa : « Dolce e chiara è la notte e senza vento,/E queta sovra i tetti e in mezzo agli orti/Posa la luna, e di lontan rivela/Serena ogni montagna. 5 -5% avec retrait magasin 35€ Vendu par LIBR CHAPITRE 1 neuf à 35€ 7 occasions dès 20€48 Ajouter au panier Raturer outre - broché Suivi de Soient Amour et Psyché. Du point de vue prosodique, l’attaque de plusieurs vers est bâtie sur l’anapeste (–): « Ta fatigue […] » (au vers 2, mais aussi aux vers 5, 10, 11, 13, 14, 16 et 17). 17Ce souci d’incarnation de la poésie dans un intra-mondain constamment en dialogue avec l’autre monde du rêve ne peut se passer d’une réflexion préalable sur la forme du sonnet, qui définit, comme le cadre d’une peinture, l’espace du poème et le temps qu’il condense : d’où la volonté de « donner priorité à la récréation de la forme et le faire assez hardiment pour que celle-ci, coûte que coûte, se retrouve forme vivante et prenne ainsi un texte aujourd’hui trop peu parlant dans un resserrement qui pourra peut-être, en accentuant la netteté de chaque figure, en raviver les couleurs » [68]. 19Mais l’un des buts fondamentaux d’Yves Bonnefoy dans cette traduction est de sonder « l’inexploré de la pulsion érotique » du Canzoniere, « de porter la traduction d’un mot ou d’un vers un peu plus en avant que lui dans l’explicitation du désir ou du sentiment qu’il [Pétrarque] éprouve » , d’y faire affleurer « une pensée plus charnelle » . Vous avez été déconnecté car votre compte est utilisé à partir d'un autre appareil. Rien ne mérite tes fièvres. 1. 30 citations d'Yves Bonnefoy - Ses plus belles pensées Citations d' Yves Bonnefoy Sélection de 30 citations et phrases d' Yves Bonnefoy - Découvrez un proverbe, une phrase, une parole, une pensée, une formule, un dicton ou une citation de Yves Bonnefoy issus de romans, d'extraits courts de livres, essais, discours ou entretiens de l'auteur. Sulla traduzione in Yves Bonnefoy », in Yves Bonnefoy, Fabio Scotto, « Traduire Yves Bonnefoy en italien : le cas de. 10Le contre-exemple de la traduction des premiers vers de L’infinito fait preuve, en l’occurrence, d’un souci de fidélité plus sourcier, lorsqu’avec le choix du singulier « cette haie » [39] il résiste à la tentation de traduire « questa siepe » par un pluriel (« ces haies ») — solution qui aurait alors suggéré une tout autre sorte de paysage : celui du rêve d’une possibilité pour le poète de « chercher plus loin, voir plus loin, espérer encore, malgré la mort, comme le berger dans les dunes de l’Asie » [40] ; car il lui faut garder l’idée substantielle et spatio-temporelle d’« un sentiment très marqué de la proximité et même de l’ampleur de “questa siepe”, de “cette haie-ci”, toute proche […] » [41]. » Cela devient dans sa traduction : « Douce et claire est la nuit et sans un souffle,/Et paisible au-dessus des toits, sur les jardins/S’est arrêtée la lune, qui désigne,/Sereines, les montagnes. Activité du site. D’aucun soupir, N’est digne cette terre. Son ouvrage L’Enseignement et l’exemple de Leopardi [12] lui reconnaît même « un surcroît de grandeur » [13] par rapport aux autres « grands poètes » [14] de l’époque (Hölderlin, Wordsworth, Hugo, Nerval, Baudelaire), Leopardi ayant été le premier à percevoir « […] que la réalité naturelle, celle au sein de laquelle nous sommes immergés, n’est rien de plus qu’une matière muette, aveugle, dans les plis de laquelle il n’y a aucune surnature […] » [15] ; alors que la poésie romantique s’identifie à une « […] pensée du divin que l’on peut dire encore théologique » [16]. Le choix de bannir tout archaïsme lexical fait inévitablement perdre certaines nuances musicales et sémantiques de la polysémie de l’original : c’est le cas du mot-clé « ricordanza » — dont le traducteur saisit pourtant bien la valeur de mot-valise contenant aussi les lexèmes italiens « cor » (cœur) et « danza » (danse) [42] —, sorte de souvenir cher au cœur dont le seul mot français de « souvenir » (utilisé dans la traduction de Alla luna [43]) ne peut nullement rendre la richesse — mais comment faire autrement en français ? Mon ultime illusion. Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info. BONNEFOY, Yves. On ne trouvera pas meilleur exemple de la nature essentiellement poétique des décisions du poète-traducteur, de sa présence sensible dans le paysage du texte. Collectif Yves Bonnefoy Christophe Gallaz Nicolas Raboud Christian Zacharias Nadja Maillard Marie Andr é. Yves Bonnefoy - Yves Bonnefoy, né à Tours (Indre-et-Loire) le 24 juin 1923, est un poète, essayiste et traducteur français. Y. Bonnefoy, « Le Canzoniere en sa traduction », postface à « Dix-neuf sonnets de Pétrarque nouvellement traduits par Yves Bonnefoy », Conférence n° 20, printemps 2005, p. 361-362. C’est la traduction poétique qui nous intéressera ici, et plus particulièrement le cas de la traduction du Hamlet de Shakespeare par Yves Bonnefoy, ce dernier considérant Shakespeare avant tout comme un poète. GRAND TRADUCTEUR DE SHAKESPEARE, 12 novembre 1959 La traduction qu'Yves Bonnefoy donne aujourd'hui de Hamlet et de Jules César a été annoncée comme un événement littéraire (1). », traduit par : « Et de ma frénésie c’est le fruit, cette honte,/Avec le repentir, et savoir, clairement,/Qu’ici-bas ce qui plaît, c’est bref, ce n’est qu’un songe. Décédé le 1er juillet 2016. Faisant écho à la deuxième partie du vers 12 (« c’est le fruit, cette honte » [77]), l’articulation du vers final en deux segments traduit « è breve sogno » par une double proposition (« c’est bref, ce n’est qu’un songe »), grâce à la réitération du présentatif, ou bien à l’ajout d’un déictique de renforcement à valeur démonstrative. Morte. La traduction des vers 6 à 9 est exemplaire de la liberté que prend le traducteur de scander par une ponctuation modifiée et personnelle les différents syntagmes constituant la période [51] : usant d’une ponctuation où les deux points introduisent une prolepse, et ou le point virgule (ici au vers 10) se trouve souvent remplacé par un point ; ce qui implique certaines répétitions explicatives comme celles de « Méprise » (aux vers 14 et 16) dans la partie finale du poème. Amertume et ennui. Je sens bien que l’espoir s’est éteint en moi. Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Qu'on a cru voir briller entre deux arbres. La traduction s'élabore, comme l'écrit Bonnefoy, « dans un rapport de destin à destin1 ». Autonomie de la récréation stylistique dont cet autre vers du sonnet LVII présente un admirable exemple : « Attendre, ou n’y plus croire : même fatigue », pour : « onde e ‘l lassare e l’aspectar m’incresce » [80] ; où l’on appréciera, en particulier, la prolepse qui par le nom « fatigue » nominalise le verbe « m’incresce », et le recours aux deux points remplaçant la double conjonction italienne paratactique « e ». Pour Bonnefoy, le texte est une rencontre vers ce qui est proche, mais aussi étranger – son activité de traducteur en témoignera. Compte tenu du savoir somme toute limité que le traducteur de poésie peut acquérir sur l’histoire et sur la pensée de l’époque de l’auteur, Yves Bonnefoy décide de « prendre au sérieux [s]es impressions immédiates » [58], celles « du choc qu’a produit le premier instant » [59] de sa lecture du poète italien ; car « Rester auprès de soi n’est pas nécessairement trahir l’œuvre, quand celle-ci est de poésie. il est descendu aux bourgeons, des instants partagés sur les rives du Drim, et en 80 je me joignais à son hommage du monde. Tours : Presses universitaires François-Rabelais, 2007 (généré le 14 décembre 2020). Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.